« Mille feuilles photographique »
du 11 janvier au 17 mars 2018
Marc Noiret, Bruno Seigle, Emese Miskolczi, Krzysztof Pruszkowski, Antoine Chapon et Nicolas Gourault au regard des portrait-types d’Arthur Batut.
Vernissage jeudi 11 janvier à 18h30
Dans les années 1880-90, Arthur Batut superpose photographiquement des portraits pour révéler les analogies faciales d’un groupe de personnes données (les habitants de Labruguière, les membres de sa famille, les femmes de Sémalens etc.).
Les trois dernières décennies du 19ème siècle marquent l’avènement de la photographie comme outil d’investigation scientifique : en astronomie, elle enregistre des étoiles invisibles à l’œil nu ; en médecine, la radiographie permet de voir l’intérieur des corps ; en physiologie, Etienne-Jules Marey et Eadweard Muybridge décomposent avec la chronophotographie des mouvements très rapides tels que le galop du cheval.
BATUT
Comme le souligne Sylvie Merzeau (1) : « Le mythe positiviste d’un savoir absolu donne naissance au cours du 19ème siècle à un fantasme de visibilité absolue et déclenche une formidable pulsion scopique touchant un très grand nombre de pratiques scientifiques ».
Arthur Batut n’est pas étranger à ce mouvement quand, s’inspirant en cela des travaux du scientifique britannique Francis Galton (1822-1911), il entreprend dès le début des années 1880 ses recherches sur le portrait-type (2). Cette conviction que le procédé photographique peut donner à voir l’invisible, l’amène à contourner une des contraintes de la photographie qui est de prélever simultanément une fraction de temps et d’espace.
A propos de l’acte photographique, Philippe Dubois (3) écrit dans son ouvrage homonyme de 1990: « Temporellement (…), l’image-acte photographique interrompt, arrête, fixe, immobilise, sépare, décolle la durée tout en captant seulement un instant. Spatialement, elle fractionne, choisit, extrait, isole, capte, coupe une portion d’extension. Ainsi, la photo semble être en quelque sorte une tranche unique et singulière de l’espace-temps, littéralement coupée à vif ».
Les portrait-types d’Arthur Batut, se caractérisent par une superposition de fractions de temps (le temps de prise de vue de chaque portrait qui constitue le portrait type). Quant à l’espace photographié, derrière son apparente unité qui est celle du studio photographique avec son fond uni, il connaît parfois des variations dues à de légers changements de cadrage ou de point de vue.
SEIGLE
Avec un mode opératoire assez différent, Bruno Seigle obtient lui aussi des portraits où l’on perçoit une épaisseur spatio-temporelle.
Ses portraits à main levée en pose longue, gardent la trace d’un double mouvement : le tremblement de l’opérateur qui ne peut tenir à la main son appareil fixe pendant un temps si long et les légers mouvements du modèle qui lui aussi peut difficilement rester dans une immobilité totale pendant 1 minute.
Dans ces portraits en noir et blanc, tous plus ou moins flous, les sujets photographiés apparaissent tous fragiles et évanescents : « … une image pour capter et révéler la vie qu’elle recèle. Pour en saisir l’essence et peut-être en montrer l’âme » nous dit l’artiste.
NOIRET
Quand Marc Noiret réalise ses portraits ou autoportraits en couleur, cadrés plein pied, il revendique la filiation avec les portraits-types d’Arthur Batut dans lesquels, selon l’artiste, « les zones fantômes créées par les différences morphologiques des personnes photographiées » le fascinent.
Pour les exploiter, il choisit « de ne photographier qu’une seule personne. À chaque prise de vue, le modèle se déplace légèrement laissant dans l’espace une trace qui s’estompe au fur et à mesure des superpositions. Ce sont ces traces qui vont créer une forme dans l’espace.
Il ne s’agit donc plus de portrait-type mais d’un portrait saisi dans en espace-temps élargi. Peu importe le modèle puisque celui-ci n’est pas fondamentalement reconnaissable. Ce qui m’intéresse ce sont les traces, aussi infimes soient-elles, laissées par l’évolution d’un corps. ».
Pruszkowski
L’artiste d’origine polonaise Krzysztof Pruszkowski réalise ce qu’il appelle des « photosynthèses » dont le principe de superposition photographique de différents clichés est très proche de celui des portraits-types de Batut.
Le portrait, au sens strict du terme, n’est cependant pas l’unique sujet d’investigation de ses photosynthèses. Deux des trois clichés issus de la collection de l’Espace photographique Arthur Batut présentés dans l’exposition, sont des photosynthèses des Rois de France obtenues à partir de statues représentant ces illustres personnages sur les façades des cathédrales.
La rigidité et la dignité des postures semblent être le point commun de ces représentations très stéréotypées. L’autorité et le pouvoir, plus que des hommes avec une personnalité, sont ici mis en exergue par l’artiste.
MISKOLCZI
Elles aussi, issues de la collection de l’Espace photographique Arthur Batut, les œuvres vidéo d’Emese Miskolczi sont le résultat d’une résidence de l’artiste à Labruguière en 2013.
Elle a sollicité des habitants de la ville pour les filmer et réaliser des portraits-vidéo de groupes : pêcheurs, commerçantes, aides-soignantes, élèves de maternelle, etc…
De la superposition des portraits individuels sont nés dix personnages virtuels qui ont les traits communs aux membres de chacun des groupes. Ces corps filmés et synchronisés par l’artiste parlent, respirent, vibrent à l’unisson au rythme d’une phrase par laquelle ils se présentent. Comme dans une chorale, leur diversité se combine par les lois de l’harmonie.
CHAPON et GOURAULT
Pour terminer, les dix tirages photographiques intitulés « Faces in the Mist », que l’on peut traduire par « Visages dans la brume », des artistes Antoine Chapon et Nicolas Gourault sont des arrêts sur image d’une installation homonyme créée en 2017.
Comme ils l’expliquent eux-mêmes : « Un programme de reconnaissance faciale est utilisé à contre-emploi pour détecter des formes signifiantes dans un flux nuageux informe. Sa mémoire est remplie de personnages historiques impliqués de près ou de loin dans la manipulation du climat. Dans sa quête d’identification, le bot (4) s’approprie un procédé propre à l’humain, la volonté de maîtriser le chaos par la science et l’imagination. Scrutant compulsivement les volutes, le bot paréidolique (5) reconstruit un historique personnel, haché et hésitant, à partir des visages qui l’obsèdent ». (6)
Là où Arthur Batut percevait dans la photographie, technique de pointe pour son époque, un moyen scientifique de rendre visible ce qui jusqu’alors n’était qu’une intuition (l’air de famille), Antoine Chapon et Nicolas Gourault s’empare eux aussi des technologies les plus en pointe de leur époque que sont les algorithmes de reconnaissance faciale pour nous accompagner dans une méditation poétique sur le monde contemporain et les enjeux que le traversent (technologies numériques, climat, etc.).
(1) Sylvie Merzeau, « Les lectures de l’invisible », in La Recherche Photographique, n°4, mai 1988.
(2) Arthur Batut, « La photographie appliquée à la production du type d’une famille, d’une tribu ou d’une race », Gauthier-Villars, Paris, 1888. En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110285p
(3) Philippe Dubois, L’ Acte photographique et autres essais, Nathan, Paris, 1990.
(4) Un bot (robot) informatique est un agent logiciel automatique ou semi-automatique qui interagit avec des serveurs informatiques (source : Wikimonde).
(5) Une paréidolie est une sorte d’illusion d’optique qui consiste à associer un stimulus visuel informe et ambigu à un élément clair et identifiable, souvent une forme humaine ou animale (source : Wikimonde).
(6) Texte extrait de l’exposition collective Haunted by Algorithms, 2017, Les Grands Voisins (Galerie Ygrec), Paris.
Evénements associés à l'exposition
Jeudi 8 mars
18h30 : « Aparté » avec Marc Noiret et Serge Nègre
Cette rencontre avec Marc Noiret, un des artistes présentés dans l’exposition, et Serge Nègre, fondateur de l’Espace photographique Arthur Batut, sera l’occasion d’un échange autour des pratiques du portrait composite de Francis Galton à nos jours en passant par Arthur Batut et Marc Noiret.
Professionnels, artistes ou tout simplement amateurs d’art et de photographie, chacun devrait trouver sa place dans cette rencontre qui se veut avant tout conviviale.